“El abrazo le llevará a lugares históricos donde no existía siquiera el embrión“.
– Karamakate, dans El abrazo de la serpiente.
Penser l’ayahuasca comme l’évènement où a lieu une sorte d’étreinte implique l’existence d’altérités humanimaliennes, végetales ou hybrides, organiques ou inorganiques, (é)prises dans l’enlacement de la liane. On peut dès lors réfléchir à cette créature-plante en tant que locus d’interaction et de croissance, un devenir qui noue des interactions interspécifiques et interactives dans le frayage de son expansion, de sa circulation et de ses transmutations. L’évènement-ayahuasca met donc sur la scène un mouvement qui se frotte avec la texture des choses virtuelles et actuelles de ce monde tout en les enlaçant et en les codifiant dans ses torsions et ses cordages. Ayahuasca, mot quechua, veut littéralement dire corde (waskha) de l’esprit ou de la mort (aya). Cette invocation rhétorique n’ébauche pas seulement les formes tressées et sinueuses de l’organisme végétal (qui s’enlace avec d’autres plantes pour les potentialiser dans leurs effets et leurs affects, comme la chacruna et le yopo), mais aussi les nœuds qui actualisent les puissances d’intase/extase qui se manifestent dans l’étreinte, puissances d’abduction de l’esprit ou de l’âme à l’égard du corps (é)pris dans la densité physique de l’existence organique.
Aujourd’hui la demande mondiale du breuvage d’ayahuasca atteint un tipping point sans précédents. La plante dans son écosystème originaire se trouve en danger de disparition de même que la ritualité indigène directement reliée à l’usage de celle-ci. Toutefois, le mouvement apparemment inverse à celui d’une extinction s’amorce et la liane, parce qu’elle porte en elle un principe actif, est sujet(te) à une profusion de modalités de rapports d’objectification. Ces nœuds et captures, au-delà de modifier les pratiques vernaculaires que les humains ont entretenues avec la liane, déploient potentiellement de nouveaux rapports humain-plante-environnement et de nouvelles trajectoires. Ainsi, pendant que le domaine biomédical explore le potentiel biochimique du banisteriopsis caapi et que l’industrie du tourisme spirituel cherche à légitimiser ou à délégitimiser certaines pratiques ancestrales et nouvelles par le biais de brevets, sur l’internet la plante devient commodité de consommation. Devant ce scénario, il est pertinent de se demander quels sont les agencements, explicits et latents, qui actualisent l’extraction, la mise en circulation, la transformation et l’usage de la liane, de plus en plus (é)prise dans les logiques capitalistes et néocoloniales. Pour l’instant, de l’eco lodge ‘ayahuasquero‘ add-to-cart jusqu’aux déboires et jouissances hyperboliques de la kale generation aux États-Unis, en passant par le curandero, l’agence de voyage et la molécularisation dans les laboratoires, les espaces-idées d’une plante reliée à l’ancestralité pré-colombienne semblent se superposer à merveille aux espaces-idées de notre temps. La génèse du monde et l’apocalypse post-industriel s’enlacent dans l’imagerie d’une nouvelle ère techno-géologique.
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