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Periplum Petroleum



En janvier 2016, la revue scientifique Science déclarait officiellement l’entrée de notre planète dans une nouvelle époque géologique: l’anthropocène. Notamment révélée par la signature de technofossiles issus du pétrole dans les strates sédimentaires, cette nouvelle époque est caractéristique d’un système économique et politique mondial dit pétromoderne — qualifiant ici la dépendance accrue de notre monde au pétrole.


Si le pétrole s’inscrit en une signature géologique sur la surface de la Terre,  il a été question ici d’écouter et de capturer la manière dont le pétrole s’inscrit au travers de nos gestes quotidiens dans une station essence. Periplum Petroleum est une signature phonique du pétrole composée à partir des traces laissées au passage du pétrole dans son couplage avec l’humain: de la pompe au pot d’échappement en passant par les instruments de surveillance, de visualisation, des appareils d’enregistrement de paiements… Tous entrent dans la composition de cet agencement matériel qu’est le pétrole.


Ce phonogramme (litt: écrit phonique) sert de meta-enregistrement. Il enregistre les enregistrements du passage du pétrole, et tente de composer avec les sons du pétrole pour détourner la non-signification du bruit et tenter de rendre “queer” la répétition et normalisation du bruit, qui renvoie ici à la normalisation d’une f(r)iction en rapport au pétrole.


Le geste ici à la pompe est un acte spéculatif par lequel est renouvelé un acte de foi (acte de foi que l’on retrouve dans l’extrait avec: “the only book that I read is the Bible) en ce que le pétrole nous permet de faire (i.e. nous propulser sur la route) et ce qu’il peut faire de nous (des être plus mobiles, plus puissants, et cela s’entend notamment dans le “I’m lucky enough to have a car”), cet enregistrement est en soi une tentative de narration spéculative tentant de dénaturaliser le lieu commun ou le non-lieu qu’est la station service, ainsi que le mode de relation qui s’y opère.


Dans cet enregistrement, chaque son pris individuellement est dépourvu de sens. La signification dépasse les signes acoustiques et émerge du tout sur un mode volontairement frénétique. L’inintelligible qui se dégage de cette enregistrement tente justement d’exprimer une certaine folie liée à la fiction sociale qui informe et s’informe de nos gestes. Une musicalité démentielle, qui littéralement veut dire “séparation de l’esprit”, qui tente de rendre sensible l’insensé. Dans cet extrait nous sommes sans cesse déroutés. Les passants restent anonymes. Pris dans le mouvement du pétrole, propulser par lui et sous la pression de cette fiction sociale, il n’y a plus le temps de s’arrêter pour penser, ni de partager plus de quelques mots et d’apprendre à se connaître. Les interactions sociales sont limitées au soulagement que Baby délivre: par paquet de cigarettes pour les individus en manque de nicotine, en barres chocolatées pour ceux en manque de sucre, en jeux à gratter pour d’autres en quête d’argent facile, en essence pour nos activités pressantes, et en donnant accès aux toilettes de la station pour d’autres envies pressantes.


C’est ici par l’expression d’une musicalité, que l’on parvient à saisir le sens de l’apriori incompréhensible. Il s’agissait donc de détourner la non-signification du bruit, non pas en le répétant encore une fois, mais en composant à partir de ces sons pour rendre intelligible l’inintelligible. Mon intention était aussi de poser moi-même un geste, de remettre en question ces relations en redonnant sens au pétrole, en pensant sa signification dans sa signature.


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