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Pratiques et écologies de connaissances

Un groupe de professeurs de différentes disciplines (écologie, biologie, géographie, ingénierie, sociologie) de différentes universités (Carleton University, Université d’Ottawa, Université de Sherbrooke) ont obtenu du financement du CRSNG (Conseil de recherches en sciences naturelles et en génie du Canada). La recherche est financée par une Subvention de partenariat stratégique pour les projets, ce qui implique que le groupe de chercheur travaille en partenariat étroit avec une autre institution. Dans ce cas-ci, nous travaillerons avec Parc Canada, qui est le ministère responsable de gérer le Canal Rideau et la Voie Navigable Trent-Severn. D’habitude, les cours d’eau sont gérés par les provinces, mais ces canaux ont un statut historique et sont donc sous autorité fédérale. Les écologistes et biologistes vont étudier les espèces en voies d’extinctions (poissons, tortues) ainsi que les espèces invasives (algues) dans l’écosystème. Les ingénieurs vont travailler sur des filtres pour les algues. Les géographes vont travailler entre autres sur l’érosion des berges. Les sociologues vont travailler sur la gouvernance de ces espaces, vont rencontrer les différents acteurs impliqués (associations, résidents, tourismes, communautés autochtones) et vont participer à mobiliser les connaissances générées par les scientifiques pour proposer des pratiques concrètes de gestion pour Parc Canada.


Dans ce cadre, j’oriente mes premières interrogations sur la question suivante : Comment est-ce que des connaissances scientifiques sont produites dans ce cadre multidisciplinaire en partenariat avec un ministère gouvernemental? L’idée est de mieux comprendre comment les différentes interactions entre chercheurs de différentes disciplines et entre les chercheurs et les membres d’institutions publics ainsi que les membres de la communauté mènent à la génération d’énoncés de connaissances particuliers. J’aimerais donc réfléchir sur les pratiques de productions de connaissances (scientifiques et autres), sur le rôle de l’artisanat (craft) en recherche, sur la formalisation d’objets de recherches, sur la collaboration en recherche (inter/multi/trans/anti-disciplinaire), sur les interactions entre chercheurs et membres de la communauté et sur les influences plus larges qui influencent la production de connaissances (politiques, sociales, économiques). En somme, ce sont les processus, les pratiques et les médiations relationnelles liées à la connaissance qui sont au cœur de mon questionnement actuel. Ce faisant, je prends une position meta et je souhaite monter en abstraction la pratique même du sociologue et des autres chercheurs. Le type de connaissance qui est au centre de ce projet concerne l'environnement: cela n'est pas neutre et à de nombreuses implications qui seront explorées tout au long du projet.


Plusieurs outils heuristiques d’Abbott (2004) sont utiles pour commencer à développer et penser ce projet. Tout d’abord, je pars d’une analogie entre la connaissance et l’écosystème, un concept qui provient de l'écologie. L’écosystème est composé de plusieurs éléments qui sont en équilibre pour assurer un certain fonctionnement : plantes, animaux, insectes, roches, terres, air, vents contribuent tous à créer une certaine écologie environnementale qui agit comme milieu pour le déploiement de la vie. Si je m’inspire de cette idée, je pourrais concevoir une écologie de connaissances qui serait composée des différents acteurs, de différents énoncés de connaissances, de processus de formations de connaissances qui sont en interaction les uns avec les autres. Pour passer de l’analogie à l’emprunt, je pourrais intégrer le concept d’écosystème (qui fait habituellement référence aux relations durables entre des organismes et leur milieu) pour parler de l’université et des différents types de connaissances qui y sont produits. Je pourrais aussi emprunter la question de l’équilibre à l’écologie pour essayer de comprendre comment différents types de connaissances créent également un certain équilibre. Par exemple, les sciences biologiques s’attardent aux organismes vivants, mais délaissent les éléments abiotiques de l’écosystème. La géographie peut venir couvrir ce point et générer des connaissances sur l’érosion, l’eau et d’autres éléments abiotiques. Les sciences sociales elles peuvent introduire les questions humaines dans le projet et amènent une autre perspective. En combinant ces différents types de connaissances, qui ne sont pas produites de la même manière et qui ont des objets qui sont conceptualisés de manière différente, nous avons des connaissances beaucoup plus balancées de notre phénomène. L’idée d’homéostasie pourrait aussi nous aider à mieux comprendre l’écologie de connaissance. L’homéostasie fait référence au maintien d’une caractéristique clé du système par un processus de régulation (ex. température, taux du sucre sanguin). Notre écosystème de connaissances universitaires n’est pas limité strictement aux territoires de l’université. Ce faisant, nous avons d’autres éléments qui sont introduits dans notre écologie de connaissances telles que les associations communautaires, les partenaires publics et les agences de financement. Nous pourrions dire que le financement des projets fait partie du processus de régulation homéostatique de notre écologie de connaissances. Sans financement, les chercheurs ne sont pas en mesure de compléter leurs recherches, ou du moins le processus s’en voit beaucoup plus difficile. Nous pourrions donc dire que les agences de financement aident à réguler les fonds pour que le système maintienne une bonne homéostasie et que le processus de production de connaissances plurielles puisse continuer. Comme le mentionne Abbott (2004), il faut être prudent quand nous empruntons des concepts, processus ou analyses, car nous pouvons perdre certaines nuances du monde social qui ne sont pas actualisées dans les autres disciplines. Par exemple, par la question de l’écologie, je perds de vue la question de la pratique de la connaissance. Ce faisant, en poursuivant cette idée d’écologie de connaissances, je devrais m’assurer de bien choisir les concepts que j’emprunte (ne pas en choisir trop) et de bien comprendre quels éléments peuvent être appliqués à mon sujet d’étude.


Un autre outil heuristique qui m’est utile pour théoriser mon projet est celui de générer des principes. Ainsi, non seulement j’emprunte une la question d’écologie des connaissances aux sciences de la vie, j’aimerais aussi établir le postulat de base suivant : la production de connaissances au sein de l’écologie de connaissances est un processus artisanal. Pour le dire en anglais: Knowledge production is a craft. En établissement un tel postulat de départ (making an assumption, dans les mots d’Abbott), je peux donc explorer d’autres éléments plus en détail. Quels éléments de l’écologie de connaissances sont-ils impliqués dans le processus artisanal? Au sein de l’écologie de connaissances, quel est le matériel et quelle est la main qui façonne? Comment est-ce que les disciplines font du crafting ensemble? Est-ce que les disciplines partagent des matériaux, de quelle manière, lesquels? Comment est-ce que les disciplines, qui ont des lentilles et des connaissances du monde particulières, arrivent-elles à transcender leurs différences pour travailler en équipe? Arrivent-elles à collaborer ou travaillent-elles de manière indépendante? Comment est-ce que cette écologie de production de connaissances se craft un équilibre? En émettant le postulat de l’artisanat, je peux poser des questions plus précises sur le phénomène qui m’intéresse. Je m’ouvre aussi la porte à faire une inversion de ce postulat plus tard, si jamais je me retrouve prise dans mes réflexions. « Making and denying major assumptions thus constitutes another basic heuristic in the social sciences. Both moves produce challenging and surprising results. » (Abbott, 2004: 134).


Abbott, Andrew. 2004. Methods of Discovery: Heuristics for the Social Sciences. W. W. Norton: New York, London.


Image: David Read/University of Sheffield http://discovermagazine.com/2017/may-2017/smarty-plants

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